Restauration de ma FAEMA URANIA
Voici l’histoire de la restauration de ma belle italienne, une machine à levier FAEMA Urania de 1956. La belle a officié jusqu’à la fin des années 70 au restaurant du camping Arc-en-Ciel au pont des Trois Sautets. Un grand merci à Corinne et Cécile du camping qui m’ont offert cette magnifique machine.
D’abord un peu d’histoire
Le caffè espresso (traduire par café extrait par pression) est une méthode d’extraction rapide et intense du café apparue en Italie fin 19ème. Malgré l’engouement pour l’expresso et les améliorations apportées aux premières machines fonctionnant à la vapeur, le résultat est encore loin de l’expresso moderne. La vapeur, trop chaude, brûle le café et la faible pression générée n’est pas satisfaisante.
C’est en 1946 qu’Achille GAGGIA parvient à augmenter la pression de 2 à 9 bars, en forçant l’eau chaude dans un cylindre au moyen d’un levier à ressort actionné par le barista. Le résultat, une petite quantité de café au goût intense et surmonté de crema, marque la naissance de l’expresso contemporain. GAGGIA sous-traite alors la production de ses nouvelles machines à levier, notamment à la société FAEMA d’Ernesto VALENTE. VALENTE comprend rapidement le potentiel des machines à levier, et lance la production sous sa propre marque dès 1950.
Quelques années plus tard en 1961, FAEMA va au-delà du levier et fixe les standards des machines actuelles avec la sortie de la légendaire Faema E61, dotée d’une pompe mécanique et d’une chaudière à échangeur thermique. Le groupe d’infusion mythique de la E61 est d’ailleurs encore utilisé sur les machines actuelles.
L’Urania en ma possession (n°9206) est un exemplaire fabriqué pour l’export et sorti de l’usine FAEMA de Milan en septembre 1956.
La restauration
Mon exemplaire est un modèle à un groupe, accouplé à la chaudière et avec chauffe au gaz. J’ai choisi de la convertir à l’électrique, mais je remettrais rapidement le gaz en route pour permettre une utilisation mixte électrique / gaz, pratique en itinérance s’il n’y a pas d’électricité.
N’ayant pas toutes les compétences requises pour réaliser seul cette restauration, j’ai demandé conseil sur le site expresso.cultureforum.net, une mine d’or si vous cherchez à aller plus loin sur votre culture de l’expresso. La communauté très sympa du forum m’a bien aidé, et m’a permis de rencontré Pascal (alias Zeb), un spécialiste de la restauration de machine à levier des 50’s, et coup de bol, il habite la région! C’est clairement grâce à cette rencontre que j’ai pu mener ce projet à terme, merci encore à toi Pascal.
Pour mieux comprendre les étapes de la restauration, il faut comprendre la conception de base de la machine, simple mais ingénieuse, surtout dans les détails.
La machine est composée de 5 ensembles distincts:
- Le châssis et la carrosserie
- La chaudière en cuivre, qui doit rester hermétique à plus d’un bar de pression
- Le système de chauffe et son mécanisme de contrôle de température (réalisé par le contrôle de la pression)
- Le groupe d’infusion, massif en laiton chromé; c’est la pièce maîtresse et la partie la plus technique : ressort, roulements, joints…
- La robinetterie et la plomberie gérant la circulation de l’eau dans la machine ainsi que la distribution d’eau chaude et de vapeur
J’ai commencé par démonter la carrosserie, les chromes étaient bien conservés. Cela m’a permis de voir les entrailles de la bête. Bonne nouvelle : la machine était complète. Toutefois, l’état de la visserie, notamment celle de la chaudière, était un peu inquiétant. J’ai donc décidé de commencer par là, car si je ne pouvais pas ouvrir la chaudière le projet s’arrêtait là. J’ai chauffé au chalumeau et cogné à la massette les gros boulons rouillés avant de les dévisser… mais j’ai quand même cassé la moité des 8 boulons…
Dans ces cas là, normalement pas de panique, il existe des extracteurs de boulon pour retirer les vis cassées. Malheureusement les extracteurs aussi ont cassé à l’intérieur des boulons. Ces extracteurs sont en tungstène, un alliage très dur, et tous mes efforts pour les dégager furent vains, il m’aurait fallut des outils en kryptonite!
Après plusieurs mois de galère, je suis tout de même parvenu à rogner la matière, millimètre après millimètre pendant des heures, à la pointe diamant montée sur une dremel. Ouf, j’ai réussi ! Et après avoir progressivement restauré les filetages abîmés au taraud, je pense que la bride de chaudière pourra tenir la pression. J’ai cependant scellé une tige filetée sur la chaudière à la place du boulon d’origine car un des pas de vis était très abîmé.
Étape suivante, passage de la chaudière à l’acide! J’ai fait rapide car mieux vaut moins que trop avec ce genre de liquide, et je ne souhaite pas une restauration « parfaite », mais juste que la bécane soit propre, fonctionnelle et maintenue ensuite en bon état.
Ça faisait des bulles et de la fumé, c’était marrant … mais bon il m’a fallut faire vraiment attention, je ne voulais pas y laisser un œil (gants, lunettes, masque et travail en extérieur).
La cuve ayant retrouvé sa jolie couleur cuivrée, je me suis attaqué au châssis. J’ai simplement poncé, bien dégraissé à l’acétone puis appliqué trois couches de peinture antirouille et résistant à des températures relativement élevées.
Il était temps de passer au choses sérieuses : la restauration du groupe d’infusion à levier, la pièce maîtresse de la machine.
Malheureusement, la tête de groupe était cassée en deux. C’est le coup classique lorsque le levier est lâché brusquement alors que la machine est froide ou qu’il n’y a plus d’eau. Après consultation des spécialistes du forum il s’est avéré que cette pièce était introuvable et qu’il me faudrait la refabriquer à partir d’une pièce ressemblante. Modifications, fraisage, usinage… J’étais un peu effrayé par cette solution compliquée… mais heureusement Zeb le spécialiste à réussi à réparer ma tête de groupe par un collage époxy! J’aimerais bien travailler aussi proprement, la pièce est parfaite, comme neuve. Par chance la cassure n’était pas trop mal placée, il me faudra juste éviter les retours de levier violents.
Alors que le travail avançait à bon rythme, je n’ai rien trouvé de mieux que de faire tomber la machine… Résultat, la bulle en plexiglas du chauffe tasse, une des pièces les plus esthétiques de la machine est cassée en deux. Pour être franc je ne l’ai pas très bien pris, j’ai balancé la machine dans un carton et n’y ai plus touché pendant un an.
…Après un an de digestion pour mon plexi cassé, je reprends le travail plus motivé que jamais. La cassure est propre et un simple collage (sans solvant) a permis une réparation relativement discrète du précieux capot en plexiglas. La pièce se trouve encore neuve mais à prix d’or alors ma réparation fera l’affaire.
Il était temps de s’atteler à un long travail de nettoyage des divers éléments du groupe, et de tous les robinets et mécanismes divers de la machine. Il s’agit de démonter chaque mécanisme, d’extraire les joints, clapets et étoupes (qui sont d’époque, avec un peu partout « une matière extrêmement indésirable utilisée autrefois »), sans oublier de graisser les parties soumises à frottements. Les joints les plus récalcitrants ont dû être brûlés. Pour les parties visibles il a fallut dégraisser, bien nettoyer et surtout faire revenir le brillant du chrome. Globalement les chromes sont en bon état, seuls quelques éléments auront besoin de faire un petit tour chez le chromeur à l’occasion.
Pour les nouveaux joints, j’ai trouvé facilement pour les étoupes, les clapets, et pour les joints à lèvre du piston, mais Pascal a dû commander un joint sur mesure pour le robinet d’admission d’eau à son homologue restaurateur Paul Pratt à Hong Kong. Pour la chaudière même problème, le joint vers le groupe et celui du flasque sont introuvables, il m’a dont fallut les découper dans une feuille de ptfe de 3mm d’épaisseur. Le résultat n’est pas idéal car ma chaudière fuit encore un petit peu au niveau du flasque.
Pascal m’a aussi offert une soupape de sécurité, et j’ai trouvé un nouveau ressort pour le piston, un porte filtre neuf avec des filtres et des embouts une et deux tasses, une douchette et de nouvelles poignées en bakélite noire pour les robinets eau et vapeur. C’est dommage, la bakélite d’origine était marron mais bon on va pas chipoter.
Phase suivante: acheter du matériel électrique. Interrupteur, câbles haute température, pressostat et résistance 1500w, ainsi que de la quincaillerie inox, quelques raccords de plomberie et une lampe à led pour remplacer le néon au dos de la machine. Je ne me suis pas trop embêté pour la led, mais le résultat me convient.
Il ne m’a ensuite plus resté qu’à assembler le puzzle, sans oublier d’être généreux sur le téflon pour tous les raccords.
Voici des photos du câblage et de l’interrupteur inséré dans un orifice existant et inutilisé.
C’est là que dans l’excitation je suis allé trop vite et que j’ai bêtement cassé mon tube de niveau en verre. C’est dommage le Pyrex de ce tube avait plus de 60 ans, j’ai eu du mal à garder mon sang froid… J’ai rapidement retrouvé du verre borosilicate au bon diamètre (13mm) que j’ai pu découper à la bonne longueur au mini disque diamant sur la dremel. J’en ai un d’avance du coup, et ce n’est pas de trop car il est moitié moins épais que le tube d’origine…
A la première chauffe la machine fuyait de partout, un peu de téflon en plus a permis de régler la plupart des problèmes mais une fuite persiste sur le joint de chaudière. Au début la chaudière fuyait carrément et il ma semblé qu’une micro-fissure laissait échapper de l’eau.
J’ai resserré un peu à froid, et appliqué un pansement à la pâte époxy sur la fissure. La fuite est maintenant toute petite, n’apparaît qu’à 0,5 bar et l’eau se transforme instantanément en vapeur. Toutefois le sifflement m’agace un peu, il faudra que je démonte pour régler le problème et peut-être découper un nouveau joint dans la feuille de téflon qu’il me reste.
J’ai enfin pu régler le pressostat et la soupape de sécurité et après 3 ou 4 extractions de “nettoyage” j’ai réalisé mon premier shot! Pas mal pour un premier essai et un vrai régal après quelques ajustements.
Quel sentiment de plénitude de voir un projet de 2 ans aboutir! J’ai fini juste pour mes 35 ans en plus.
Il me reste à remettre la chauffe au gaz en route. A priori il suffit de restaurer (ou remplacer) le pressostat gaz, il a l’air en bon état, ça ne devrait pas poser de problème, mais je ferai cela plus tard.
Encore merci à Corinne et Cécile, à Pascal et aux aimables caféinés du forum expresso.cultureforum.net qui m’ont aidé.